Bièvre


 Bièvre




J'envisage une campagne dans l'univers fictionnel de Degenesis.

Je dois préciser que je ne souhaite pas jouer à ce jeu en respectant les règles à la lettre, mais plutôt de jouer ce que je perçois aux marges de celui-ci.
Dans cet état d'esprit, je ne souhaite pas que chacun définisse un personnage isolément, mais que nous commencions par jouer, un peu comme je l'envisageais pour mon jeu Fièvres.

A la différence de celui-ci, toutefois, je en tant que "MJ" souhaite également partager l'élaboration du cadre. Pour cela, je poste un premier texte soumis tant aux futurs joueurs ou joueuses en présentiel de cette campagne qu'aux lecteurs de mon blog.

Je poste un fragment Bièvre et chacun peut y ajouter son fragment, sa contribution. 

Connaître l'univers de jeu de Degensis n'est pas indispensable à l'exercice. Millevaux et Degenesis partagent bien des paradigmes.

Le fragment devra néanmoins trois éléments qui se réfèrent au précédent fragment et le fragment comportera également 3 mots clés désignés (soulignement, gras, fluo) qui viendront alimenter le théâtre de notre future partie, car nous jouerons notre campagne avec Inflorenza.


Bièvre

Sans effort, elle glisse.

La surface se ride brièvement.

Elle se joue des courants.

La fraîche odeur des iris la guide.

Elle est indifférente aux pêcheurs.

Elle se faufile entre les embarcations.

Elle s’arrête brièvement, puis se dresse et hume la berge.

Sous le couvert des branches odorantes d’un saule, elle se coule avec délectation parmi les roseaux.

Aucune fragrance étrangère.

Avec enthousiasme, elle remonte le ru et découvre de denses colonies d’iris qui s’épanouissent sur son cours. De grands saules la protègent des ardeurs du soleil.

Plus loin, ceints de ronces et de fougères, les cohortes de hêtres la saluent sous les assauts du vent chargé d’autres promesses.

Ici, les écorces sont couvertes de mousses, la fonge brille des offrandes des nuages et la sève enivre.

Elle est enfin seule, seule en son royaume.


Ici, qu’au dehors le soleil darde de toute sa hargne, ou, que les nuages vomissent les plus acides de leurs larmes, d’humides et froids relents de pierres moisies à cœur accueillent la visiteuse.

Les sons du bourg s’égarent sous la voûte, faibles, inconséquents.

Dès l’aube, les plus dévots égrainent les perles de leur chapelets en des mots dont le sens profond se dérobe. Le sol inégal abrite les jeunes hérauts de la forêt qui avance. Entre les dalles disjointes, les mousses creusent aux racines de la pierre et s’en délectent. La fonge même, dispute la place aux moellons réprouvés par le temps. Ainsi, dans la chapelle à la vierge, la niche votive d’un saint oublié est conquise par un fier oronge grassouillet. Personne ne s’en émeut. Le champignon épouse les lueurs des cierges et dessine, parmi les nuances de moisissures qui entachent la voûte un étrange motif.

Saint Vaast [va] est l’épine dorsale de Coeur-Buisson, ce bourg noyé aux confins septentrionaux des terres franques.

Depuis la nef échouée sur sa colline se ramifient une nuée de pontons de bois, son corps.

La flottille de barques sont ses membres. Des membres grêles et vermoulus, rossés par les pluies incessantes qui noient ces terres.

De sa splendeur passée Coeur-Buisson ne conserve que le chant de ses orgues.

Ici, le temps est suspendu.

Seule des gouttes attardées choient et rompent le recueillement des grenouilles de bénitiers.

Ce calme est préférable à l’humide au dehors de ses murs.

La nef est un refuge.

La vieille Odie en est le sacristain.

Elle ne voit plus guère et se fie en tout à la prière.

Pour elle, les mots dansent sur la page jaunie et figurent des arabesques impies. Ses prières s’appuient sur sa mémoire seule et quelques marmots, privés de pères ou de mères, que des familles trop pauvres ont confiés à l’Église.

Pour elle, ils déchiffrent avec peine les paroles saintes, lui promettent de lustrer les sièges et en échange partagent les offrandes des fidèles et du potager qu’ils entretiennent. Quoiqu’ils la tourmentent de leurs sottises, elle leur promet un amour inconditionnel et leur dispense sa juste sévérité. Elle aime à se penser leur petite mère et ne manque pas de leur dire. Tous, elle les accueille sans réserve, tels qu’ils sont. Mais à dire vrai, sa charge l’épuise. Désormais, ils sont seuls à entretenir le carré de légumes. Elle s’assied à l’abri de l’appentis et leur donne ses indications.

La veille, le petit Michel, un ange, a du l’aider à se relever. Elle lavait à grande eau la travée principale. Elle pesait de toute ses forces sur le balais pour arracher une mauvaise herbe et tout soudain fut prise d’un vertige. Lorsqu’elle revint à elle, il se tenait là, son visage inquiet, penché sur elle.

Elle eut bien du mal a se lever, ses jambes peinant à la porter et s’est en s’appuyant sur le petit Michel qu’elle a gagné sa cellule. La fièvre l’a tenue éveillée une partie de la nuit et l’a abandonné sans force, à l’aube, grelottant sur sa paillasse.

Péniblement elle a gagné le refuge de la nef et a entamé ses prières sans même songer à préparer le repas des petits.


Commentaires

  1. Michel n'en croyait pas ses yeux.

    Voir mère Odie dans cet état le rendait triste. Même s'il était jeune, il savait qu'il devait beaucoup à la vieille dame : orphelin des suites d'une infection aux spores environnantes, c'est Odie qui l'a retrouvé à l'époque, et l'a aidé à surmonter la douleur de la maladie, la perte de ses parents, et à retrouver un semblant de normalité dans ce monde abject.

    Odie est comme un phare au milieu d'un océan en plein tumulte, et l'église et le bourg de Coeur-Buisson forment les digues. Le tout résiste tant bien que mal aux horreurs de l'extérieur.

    Comment fera t'il sans elle ? et les autres ?

    Non, elle va se reposer. Elle va aller mieux d'ici quelques jours. Elle dit à chaque fois que prier Dieu va entendre ses prières, et les sauver tous.

    Très bien. Mais où était-il quand ses parents sont décédés ? où était-il quand les spores ont fauché plusieurs des habitants du cru ? où est-il alors qu'Odie ne va pas bien ?

    Non, Dieu n'est pas la solution. Michel en est certain, il existe une façon de traiter le mal à la racine, de remédier à toutes ces maladies qui fauchent les Hommes.

    Il se promet, qu'un jour, il arrivera à sauver le plus de gens possible.

    En attendant, il va donner à boire à Odie, qui s'allonge difficilement dans son lit, la croix entre les mains, et la prière aux lèvres ...

    RépondreSupprimer
  2. Le pluie s’épanche sur les terres franques.
    Presque aube, le chant de la mésange emplit l’ombre dense et frissonnante entre les troncs.
    Elle quitte son havre.
    Elle cueille quelque brassée d’ajoncs afin de garnir sa litière.
    Au dedans, tout est calme.
    Elle discerne à peine les chants qui égrainent le temps au dehors.

    Le chemin s’est noyé dans la fange.
    De la pointe de sa badine, une frêle silhouette en haillons fouaille le sol.
    Elle ignore la pluie fine, la froidure des matins de voyage.
    Sa fièvre l’en préserve.
    Obstinément, l’enfant cherche parmi les blocs de béton moussus.
    Au dessus, un goupil hume le sol, avide d’y débusquer sa pitance, indifférent à la présence du mioche.
    Enfin, il bondit pour fondre sur sa proie, mais s’éloigne, tout soudain, le poil dressé, les babines retroussées.
    Il grogne, glapit, puis détale pour disparaître dans les broussailles.
    Inquiet l’enfant s’éloigne, lentement, prudemment, à reculons, de ce qui a pu, ainsi, effrayer le goupil.

    Le teint d’Odie est cireux.
    Sa peau est luisante comme les feuilles après la pluie. Son regard est perdu. Sa voix est autre.
    Elle dit :
    « En vérité je vous le dis, le temps des hommes finira. Il finira par leur faute.
    Car en vérité je vous le dis tout a déjà commencé à changer. »
    Sa main noueuse et osseuse s’est refermée sur le poignet d’Héritier Mugumba.
    Ses mots déferlent sur le petit dans des relents de chat crevé.
    Le petit n’a pas pleuré. Le petit n’a pas crié.
    Son souvenir d’elle trop présent.
    Lorsqu’enfin il a pu quitté le cratère noir de son regard, il a chaussé ses bottes rouges.
    Il a pris un émondoir.
    D’un pas résolu, il a gagné, seul le bois.
    Il a entendu tous les chants d’oiseaux clamer les heures, dans la forêt noyée sous les eaux.
    Décidé à rapporter pour elle le miel souverain qui endiguera le mal qui la ronge, il a marché, longtemps marché.
    Dans l’ombre des feuilles, il a guetté le bourdonnement de la ruche.
    Il a marché, longtemps marché.
    Il a glissé. Il est souvent tombé.
    Comme autrefois…
    Les hondos autour de lui le pressent. Sans ménagement ils le bousculent. Sans cesse ils le moquent.
    La lumière qui l’éblouit.
    Sa cheville qui se dérobe.
    Les quolibets, les coups.
    « Dufu ! Tu n’es rien ! »
    Les siens l’ont abandonné là, à l’heure du grand-duc, dans la boue.
    Au creux d’un ravin, dans la boue.
    « Parmi les siens » qu’ils ont dit, rapport aux vers blancs qui grouillent dans la terre, sa terre à lui promise, rapport à sa peau, à ses cheveux couleur de lune, ses yeux rouges comme les lombrics.
    Abandonné, dans un ravin, dans la boue.
    Sa jambe tordue, sa cheville enflée, son nez cassé.
    Odie, elle l’a recueilli et l’a soigné.

    Il a marché, longtemps marché.
    Il a glissé. Il est tombé.
    C’est le temps du grand-duc.
    Au-dessus de lui, se dresse la couronne d’un châtaigner nimbé de lune.
    La ruche bourdonne.
    Il a froid.

    RépondreSupprimer
  3. Par moment il y a une vibe "La forêt des mythimages" dans le texte. J'adore :)

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés