Gacha Millevaux

 Gacha /  Millevaux 




C'est bizarre.


La moiteur de cet été trop chaud, la canicule annonciatrice de fin de monde pourrit de ses pluies mes rêves.

Non pas que Greta Tumblr soit venue répandre ses imprécations dans mes oreilles, mais comme un interruption insidieuse du flux de la réalité.


Ce rêve étrange et pénétrant commence, comme il se doit, sur une contagion d'absurdités carabinées.


Une gangrène qui lèpre les murs aux couleurs indistinctes de mon collège, pour mieux encadrer le visage dégoulinant de lianes de Madame Eidelman.


Mais pourquoi retourner au collège dans mes rêves pendant mes vacances d'été ?

Assis à mon pupitre d'écolier, j'écoute le sermon, barbant comme il se doit, sur l'assiduité attendue du collégien en posture de collégien et me surprend à suivre le vol d'un papillon blanc avec de petites taches rouille en forme d'yeux.

Il s'éloigne se cogne à la vitre obstinément avec des échos de candy-crush, TM. 

A chaque heurt, un petit ❤️ pop et cling pour disparaître hors de mon champ de vision.

Monsieur Pascal, dans sa tenue de parachutiste, avec casque lourd, est à son bureau, derrière la principale adjointe, à faire le pitre, singeant ses manières d'escargot.


De mon sac sort mon pense-bête, mon hérisson portatif qui me traduit en cyriloque le discours.

-«… les plus aventureux, mais surtout les plus coeurus parmi vous récolteront, à l'issue de cette plongée d'exploration, outre un vingt de conduite morale, un crédit de 10000 rots négociables sur toutes les plate-forme... » 

Je me dis : c'est pas possible ! 

Je me pince et sur la vague de douleur je surfe sur les ailes de mon papillon qui s'éloigne de la classe en plongée, iel, pour s'enivrer de nectar des liserons. 

Du miel floral forme une croute collante, qui adhère au mord de la cloche de plongée que les Assistants d'éducation d'Émile Lambert ajustent sur la tête des élèves.

Certains parmi eux ont encore leurs casques de gamer sur la tête, et les AE d'Émile s'échinent à forcer, appuyant de toutes leurs forces suscitant plaintes et récriminations.

Un vertige, un long, un terrible basculement vers  une mer intérieure de nausée.

Une perte,

Une chute, à perdre rêve.

Un temps fugace et tout de langueurs à la fois 



Les herbes grasses ploient mollement sous le vent entre de vieux rails rongés des atteintes du temps.

Le ballast dégage des senteurs de voyages avortés sous nos griffes qui goutent plus volontiers l'humus.

à mesure que nos fines pattes de goupils glissent sur le sol meuble afin de progresser le long des voies et gagner le couvert de charmilles qui l'enlacent, une humide fragrance assaille nos truffes moites.


Nous sommes à l'arrêt.


Des bulles d'eau se faufilent entre la pierraille pour prendre leur envol. Elles se lovent dans les nuages bas qui boivent le soleil d’été.


C'est inquiets que nous nous hâtons vers l'ombrage alors que la pluie vomie du sol grossit.


Nous sommes maintenant glacés de cette eau resurgie du sol, le poil gorgé de froid à ne pouvoir réprimer les grands frissons qui parcourent nos petits corps.


Nous peinons. Nos pattes peinent à garder le sol et bientôt nous sommes emportés, frêles étoupes rousses vers l'inconnu de ce lac de nuages.

Des pluies de feuilles me rejettent aux franges d'une mare forestière. 

Le sol est moelleux, surchargé de senteurs mêlées. Certaines douces me sont familières, les feuilles en décomposition, le pied de champignon qui poisse ma joue. D'autres, acides, piquantes et changeantes me saisissent et m'abandonnent dans la familiarité d'un bois dont je ne me souviens pas alors avoir parcouru les sentes. 


L'air est frais et humide sous la futaie.

Les feuilles bruissent à l'unisson d'un vent léger.

Soudain, en contrebas, dans la ravine, un tronc grince.

Je suis surpris et je ne suis pas parvenu à réprimer un sursaut. Mes baskets de toile noire jurent avec l'humus boueux et l'absence.

Je la sonde. 

Je tente de discerner ce qui manque ici. 

Et, malgré moi, je m'inquiète, mais pas trop... Ce serait ridicule de céder à la crainte née de ce grincement. 

Ce devait être l'un de ces troncs graciles qui frangent mon œil.

A nouveau l'air est parcouru de cette onde aiguë. Sa répétition, légèrement modulée me rassure. Ce n'était que la stridulation d'un oiseau inconnu de moi.

Je sais le manque maintenant.

L'absence du froissement d'un vêtement, d'une étoffe mue. L'absence d'un souffle, fut il ténu, à mes côtés. Un nez sans cesse encombré, une déglutition, un début de phrase avorté. Je suis seul.

A l'horizon pas l'ombre d'une rumeur citadine ne trouble le souffle lent de la forêt.

Je gratte la tignasse ébouriffée sous mon bonnet. Des miettes de forêts ruissellent sur mon nez avec leur sillage de terre asséchée de son séjour dans la grosse laine noire. Ma manche de chemise, autrefois blanche et déjà imprégnée du jus verdâtre puisée au sol recueille, aspire les grappes de terre que ma grosse tête avait volées.

J'ai maintenant en bouche l'amertume des feuilles.

Mes jeans sont eux aussi souillés. Rien de grave. Mais ma tenue me livre à cet instant, nu face à cette forêt immense.

J'ai froid, malgré mon épais pull noir.

Un frisson qu'une partie de moi souhaiterait ardemment repousser là d'où il est né, remonte déplaisant, atrocement lent, le long de mon dos.

Je vois, je m'imagine alors mes os blancs dans leur douce couette de chair rouge et chaude qui s'écartent, inquiets, rebutés sur son passage de froides ténèbres.

Il est minuit docteur Misère !

Et de nouveau cet oiseau me dit sa présence et me trompette mon isolement.

Sous mes paupières ma peur s'enracine.



 [Keskispass alors?] 

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