Grégoire Héron

Grégoire Héron


Une suite asynchrone de la tentative première de

 Cœur-Miroir




Le paternel, Camille, a toujours favorisé les lubies de la petite dernière.

Vraiment ? Non, pas tout à fait.

Moi-même, je ne manque de rien, enfin pour ce qui relève de la panoplie du lycéen.

Matériellement donc j’entends.

Je suis poète en un temps de manque.

Je consacre, des après-midi entières à la contemplation de la pluie drue qui inonde le jardin, redevenu sauvage, de la maisonnette.

Une jolie bâtisse, de bois de pierres et de grincements vermoulus.

Rien est bien droit, tout est étroit, de guingois.

Seuls les meubles, pourtant tous chinés à la recyclerie, appartiennent à notre univers euclidien.

Le paternel, outre sa vocation de famille d’accueil est ébéniste. Alors le mobilier disparate est le sol de la maison qui s’effondre par tous ses murs. La charpente craque parfois au point de nous sortir du sommeil au cœur de nuit. Plus aucune des portes ne ferme. Tout bouge. La maison, avions-nous coutume de dire avec ma douce Bénédicte, est un peu nos mères réunies. Une toxicomane suicidée et une migrante sans papiers, désargentée, bel équipage pour tout bagage !

Au plafond de notre chambre, l'humide dessine les cartes de territoires à découvrir, à éprouver.

Pourquoi suis-je ainsi tourmenté par le regard qu'Antoine pause sur moi ?

Sous son toupet de cheveux ébouriffés, cette masse indisciplinée de mèches rousses, se dessine une bouche tordue en un éternel sourire moqueur. Même au repos, il illumine son visage. Antoine est un adolescent ordinaire quoiqu’un peu cabossé par la vie dissolue de sa famille éclatée. Ce n’est pas tant lui que j’aime. Je le sais au plus profond de moi. Ses mensonges, ces exagérations, ses demi-vérités, ses déclarations tonitruantes sur ses projets, ses futures réalisations m’émerveillent. Ses récits autour d’une table, pas de Donjons et Croûtons, mais son mélange syncrétique personnel de Dune et de Dick et sa trilogie divine. J’aimerais au fond être aussi indifférent que lui aux réalités de ce monde.

Je voudrais être désinvolte.

Mais, Bénédicte…

Ma sœur, ma sorcière de demi-sœur. Nous n’avons pas de parents communs en dehors du paternel qui veille sur nous depuis notre entrée au collège. Je suis grand et maigre avec un nez comme un bec de héron. Je porte bien mon blase. Elle est menue, délicate, un visage de poupée encadré par ses cheveux d’un noir de nuit, héritage d’Asie. Au début, au collège c’est moi qui fut désigné comme l’étranger tellement je ressemble peu au Camille, qui a les yeux légèrement bridés. Elle est toujours silencieuse, sage et impassible. Une petite fille que l’on aime dépeindre dans les romans à quatre sous. Elle est toujours bien mise, ne contredit jamais son interlocuteur, même si elle n’en pense pas moins. Et puis il y a son éternel demi sourire séducteur, un peu moqueur. Moi, je suis grand et malingre et on lit tout mon embarras sur mon visage maigre. Le rouge me vient aux joues si vite… Alors, petite sœur des bords du Mékong, je tant pensé à toi, mais pas seulement en tant que grand frère. J’ai toujours jalousé ceux et celles qui parvenaient à franchir la frontière de ton apparente indifférence. Et quand, le seul pote qui ne songeait pas à me railler, s’est confié à moi pour me révéler combien il te kiffait, j’ai tout fait pour favoriser son approche. J’ai été séduit par ce qu’il avait de toi. Pas ce qui était vraiment lui.



Le temps passé autour d’une table à pousser mon pion et jeter les dés, c’est du temps perdu.

Je n’ai vu que de loin en loin, fleurir sur les étagères, les livres biscornus évoqués dans la bibliographie de l’Appel. Je n’ai que grommelé faiblement lorsque mes figurines laborieusement peintes furent détrônées par tes tubes emplis de liquides et de formes douteuses. Je me suis amusé des étranges poupées aux visages de porcelaine ébréchées qui dormaient plus souvent que toi dans le lit du bas.

J’ai tenté de convaincre mon copain, mon frère d’armes, de tenter le coup avec toi.

C’est un lourdaud. Et je fus soulagé à entendre son récit confus dans lequel il reconnaissait s’être mangé une tarte cuisante pour toute récompense à son audace. Et ton silence et ton indifférence face à sa gêne gauche.

Tu es un drôle d’ange dont le créateur aurait omis de dessiner les ailes.

Une ange qui s’est envolée du nid, hors d’atteinte.

Mais tu le fus tout le temps pour moi, cette âme chérie, nimbée d’une aura qui m’interdit.

Tu n’es plus là. Près de moi. J’ai vu ta chérie. Ton Cœur-Miroir . J’ai sentie son parfum. Un mélange de Shalimar et de son odeur un peu musquée. Je l’avais sentie cette même fragrance sur toi. Je l’avais sentie parmi les senteurs nouvelles qui habillent ta cour de poupées décaties.

Quand Théo, m’a repoussé, j’ai l’ai senti cette autre odeur.

Celle qui t’accompagne depuis quelque temps maintenant, toi et tes sœurs de chiffons. Une odeur de mare, douce, un peu écœurante la première fois. Mais, j’y ai pris goût, ces trop nombreux soirs, sans toi, à t’attendre sur tes draps, parmi les jolies plumes colorées. C’est pas l’odeur des grenouilles, des ophidiens, non. Une odeur plus fauve. Une odeur plus tenace. Comme celle de cet œuf peint qui trône sur la petite coiffeuse de marbre que t’a fabriquée pour ton quatorzième anniversaire le paternel.

J’avais dans ma tête tous les mots inutiles et creux qui tournent depuis si longtemps, lorsque je danse autour de toi. Tous ces mots vains dont j’aurais voulu fleurir ta bouche, qui dans l’instant ou Théo me presse de questions, surfacent et menacent mon horizon.

Non Antoine ne saurait être la raison de ta disparition. Il est bien trop velléitaire. Ce sont les questions posées, ce soir là, qui m’ont dissuadées de lui dire un amour factice, afin de préserver mon seul amour, mon Cœur-Miroir. Ses questions tournaient toutes autour de Sasha. Le bougre avait en nez ce Shalimar et un parfum d’Elle et de toi mêlées. Lui aussi était séduit par la beauté, ta beauté, la beauté du diable ?

Alors quand je caresse les plumes de Théo, juste dans le replis chaud derrière le pavillon de son oreille, afflue ce parfum qui m’enivre de ton absence. Et voir cet ange ce gausser de moi, ce démon se proposer à m’aider à te retrouver ne me surprend pas. Mais comment lui avouer à cet ange bizarre que tu es mon Cœur-Miroir ?

Maintenant dans le puits de son regard ou je cherche en vains les mots vrais qui diront le chemin vers toi, je contemple les mêmes constellations que je contemplais plus jeune, assis sur ton lit.

Où es-tu Bénédicte mon aimée ?

Qu’es-tu vraiment ?



Es-tu cet ange improbable qui déploie ses ailes devant moi ?

N’es-tu que ce fantôme des nuits atroces des dortoirs de l’orphelinat qui a dévoré ta charmante dulcinée Sasha ?

Es-tu ?

Je marche, absent de mon corps sur la sente qui mène vers le bois au-delà de la feigne.

Déjà je n’entends plus le vacarme de la chaudière du SMVO.

Villers-Cinq-Poules est tout autour de moi et mes pieds s’enfoncent profondément dans les ténèbres de la forêt qui avance vers moi.

J’entends, provenant des ruines d’un vieux bâtiments d’Arkema, le cri d’une chouette en maraude.

C’est déjà la grasse nuit tout autour. L’ange bizarre a caché l’écoulement dans ses silences, ses ellipses.

Les premiers arbres sont là, autour de moi.

La grande lune rousse est pleine.

À tous tu avais parlé de ce jour, de cette grande conjonction, toi ma petite sorcière bien aimée.

Perchoirs de boue noire et de racines,

larves-vaiseaux sanguins

rouges

Observatoire d’oiseaux de proie,

tours grêles au cœur des arbres.

Mon monde défaille après toi.

La nuit et son cortège de ténèbres s’impose.

Elle contamine les lueurs de la ville qui s’effondre.





L’appel de la forêt a retenti.

Je le sens, dans l’haleine de Théo, dans le froid de la petite main d’Aïden.

Les herbes où tu fus couchée avec Sasha ont livré une clé rouillée qui n’ouvre pas les portes.

Cœurs béants, dans le bois nous te cherchons !







Grégoire Héron

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