L'ange de silence

 L’ange de silence.







Une rue presque champêtre relie mon quartier à la vieille ville.

Un coq, trois douzaines de poules, quelques oies, des dindons, un paon, s’échappent parfois de la cour d’une très belle demeure pour s’égayer sur un terrain vague situé de l’autre côté de la rue.

Et, tout au long de mon parcours, une longue rue rectiligne, enfle ma peur.

De nombreux pavillons sont gardés par des chiens dont je redoute les aboiements.

Je sinue par anticipation effrayée, afin de me tenir éloigné, des antres où se terrent les redoutables canidés. J’ignore seulement si le gardien sera embusqué derrière la haie afin d’être certain que son surgissement m’effraie. Et de fait, ce n’est pas la taille du molosse qui importe, mais bien la vigueur qu’il confère à sa voix courroucée de cerbère. Je bondis, cours, saute, rivalise d’agilité afin de m’éloigner de la menace, sous le regard tantôt amusé des vieux, tantôt courroucé de l’automobiliste contraint de freiner d’urgence afin d’éviter de me coucher à son tableau de chasse.

Mais le moment le plus redouté, sur ce parcours pourtant balisé, est celui de la confrontation avec le paon et ses amis les dindons.

Ces braves volatiles vivent une vie tranquille, paisible.

Mais lors de notre première rencontre, le Paon, dans toute la noblesse de sa couronne de plumes est venu me surprendre de son cri strident, bientôt accompagné par les gloussements étranges des dindons.

Depuis ce jour, je redoute de revoir ce qu’alors j’ai entre aperçu, en un fugitif instant.

Des yeux, innombrables, dans un visage de chairs blêmes, maladives, auréolées de plumes d’or et de bonze venu me juger. Un vertige vers un ailleurs redouté.

Alors, c’est plus fort que moi, je ne peux me dérober à ma peur tant redoutée. Si, parfois, par le rythme que j’imprime à mes pas, et la résolution née des moqueries essuyées autour de mon comportement fantasque, j’aboie sur les chiens, je suis si féroce, que la créature apeurante n’ose pas se présenter à moi.

J’ai terrassé l’ange du jugement dernier. Enfin non, j’en suis conscient. Je l’ai repoussé. 

J’ai consulté plein d’ouvrages à la bibliothèque municipale avant de retrouver une image surgie de mon cauchemar. Dans les contes pour enfants, je n’ai découvert rien de ressemblant ; tout juste des montres amusants. Mais je ne pouvais en rester là. Aussi j’ai quitté le coin bandes dessinées auquel j’étais abonné pour aller dans la salle d’étude, le domaine du Silence, avec une majuscule et plein d’adultes moustachu(e)s. Dans la salle d’étude, j’ai manipulé de grands livres aux couvertures poisseuses et poussiéreuses. Longuement j’ai fureté, jusqu’à ce que la bibliothécaire moustachue éteigne les lumières. Elle ne m’avait pas vu. Et là au moment du départ précipité, alors que la bibliothèque allait fermer, le livre de gravures médiévales est resté ouvert sur des gravures d’anges, tel qu’iels sont apparus autrefois dans les Flandres. Alors j’ai su, que c’était l’un de ces anges qui m’attend sur le chemin. Jérome Boch en a vu beaucoup pour peindre tous ses jolis tableaux. Mais il ne s’est pas perdu pour autant dans le jardin des délices qu’il a offert à ceux de son temps.

Alors moi aussi, j’espère à chaque fois, que je passe là, que je pourrais demeurer dans sous les nuages sans m’y perdre.

Et puis, j’ai aussi le vieux monsieur, le vieux papy, un peu plus loin qui attend, dans son garage, juste après le tournant.

Sur la rue du Maréchal, il y a, après une tonnelle odorante qui masque les vitres du salon de coiffure pour dames, des senteurs qui me chavirent le cœur.

Accolé à une vieille maison étriquée, un petit garage ouvre sa gueule. C’est un atelier. Souvent la porte ouverte laisse filtrer une lumière toute mordorée qui illumine même en plein jour le trottoir crotté. Faut dire que la lumière c’est le signe que je guette. Cela veut dire que je pourrais zieuter dans son antre et me régaler de l’odeur sucrée du tabac du vieux monsieur. Il fume la pipe comme mon oncle et grand papa Camille. Mais lui sa pipe elle semble comme posée au bout de ses lèvres serrées, car il est toujours très affairé. Sur son ouvrage il est toujours penché, concentré. Il a des gestes économes, polis, lustre les menus objets qu’il a entrepris de restaurer. C’est un brocanteur, et pour moi un grand magicien. Tant qu’il est là, l’ange du Silence ne pourra rien contre moi.

Tant qu’il est là, plein de belles choses ressurgissent, des souvenirs un peu froissés, un peu passés que d’aucuns pourront à nouveau partager. Et moi, à chaque fois j’en profite. Je fume un peu de son tabac aromatique et j’imagine des histoires aux objets qu’il offre à ma vue. Parfois, il me gratifie d’un sourire et me donne même un Carambar tout fondu, sorti de la poche de sa redingote, sur la peau de son ventre, tendue.

Alors là tout passe.


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