Bièvre Afsnit 5 Gertrude


 Bièvre 




Afsnit 5 


Gertrude


Gertrude hésite, se presse et se ravise.

Elle se réfugie derrière un grand hêtre. L’écorce poisse ses mains de sève. Elle est aux aguets. Ses yeux écarquillés afin de mieux percevoir le pas sautillant qui s’éloigne sur la voie déchue. Elle avale péniblement sa salive, l’acidité du ton moqueur de la Hortense s’attarde sur sa langue. Elle serre le tronc très fort comme pour étouffer ce méchant souvenir. Le spectre de ce regard plein de suffisance l’éblouit au travers du ramage de la hêtre. Elle ne voit rien des lueurs printanières de cette presque aube. Elle n’entend rien des chants énamourés des chardonnerets. Les cailloux cessent de rigoler. Le flic flac enjoué s’éloigne, déjà presque imperceptible.

Elle bondit hors du buisson à la suite de la vilaine Hortense. Son cœur cogne si fort dans poitrine.

Ses bottines glissent sur la mousse gorgée d’eau. La douleur irradie son dos, remonte dans le cou, envahit son nez et sa bouche. Un goût de fer chasse l’amertume dans sa bouche. Du revers de sa manche elle sèche précipitamment ses larmes. Sa robe a bu la fange.

Elle se relève décidée et s’enfonce dans le fossé, puis parmi les fougères. Et nulle trace de son passage.

Elle presse le pas, soucieuse de ne pas la perdre.

Cet endroit lui est étranger. Les arbres lui semblent bien plus grands, la mousse plus épaisse.

Elle ne l’entend plus à présent. Elle ne veut pas renoncer.

Elle percera le secret de cette petite vipère. Elle débusquera sa tanière.

Ses mains et ses jambes la grattent. Elle ne connaît pas ce coin. La tourbière est proche. Elle doit rester prudente. Elle avance lentement maintenant, avec dans son sillage un aréopage de moucherons. Elle est certaine d’avoir entendu le verdier chanter et pourtant tout est si sombre ici. Les arbres immenses lui cachent la nue. Les cadavres de vénérables jonchent le sol, noirs et luisants. Un scarabée noir comme la charogne effleure sa main de ses grandes antennes. Elle frémit de dégoût, la nausée en tête elle s’éloigne à toutes jambes de ces gisants. Ses cheveux se prennent dans le lianes chevelues, pagne pudique autour du tronc d’un immense saule. La boue noire entre les racines lui ravit une botte. Elle court, elle court à perdre haleine, dévale, glisse, roule et s’écroule. Le sol grouille de petites larves blanches. Son menton frémit. Les larmes montent, noient son regard. Enfin, elle pleure la boue grasse qu’elle a cueillie au bas du talus. Les immenses racines lui dérobent la vue. Autour d’elle, des ronces acérées l’observent, noyées de toiles et de cocons. À sa droite, s’ouvre une clairière constellée de jacinthes. L’eau est noire entre les feuilles d’un vert profond. Elle se mouche bruyamment dans sa manche crasseuse. La puanteur l’assaille. Toute tremblante, elle se lève avec peine. Son genou saigne d’une vilaine éraflure. Sa robe est toute festonnée de ronces.

Sa cheville est enflée et boursouflée. Elle boitille vers la berge. Elle s’assied péniblement et pose sa jambe douloureuse à plat, sur la mousse. De ses mains elle forme une coupe et puise l’eau entre les feuilles. Elle est glacée et grouillante de petits vers rouges. C’est répugnant ! Elle se relève et ramasse une branche morte qu’elle a ravi dans sa glissade. Prenant appui sur sa canne de fortune elle entreprend alors de gravir la pente.

Rageusement elle se hisse, s’aide de sa branche folle et des racines. Elle parvient hors d’haleine jusqu’au tronc de l’immense saule.

Elle reprend son souffle. Elle regarde attentive, hume, écoute. Tout ici lui est étranger. Tout est hostile.

Elle s’écoute du dedans. Elle cherche son souffle. Elle cherche un havre. La chaleur d’une soupe d’ortie réchauffe ses paupières. Elle sent le bois lustré du prie-dieu sous son doigt. Elle hume la vieille pierre, et égraine les pierres du rosaire offert par Odie.

Enfin ses larmes se tarissent.

Elle crache, se mouche et se redresse, à nouveau résolue. Elle boitille, dans le bois, attentive.

Au loin elle perçoit un bourdon ; une vibration ample, basse, profonde.

Il imprime un rythme différent de son pouls.

Une pluie rance ruisselle des basses branches.

Le vent bruisse dans les feuillages à l’unisson.

Elle boitille, inquiète, se presse à mesure qu’enfle le bourdon. Des nuées de mouches se pressent par vagues que porte le bourdon. Elle bondit, boitille, pleure, boitille encore. Elles la piquent, elle court maintenant oublieuse de sa douleur et soudain trébuche et tombe…chute. ...Descente.

Rouge-queue noir, grive musicienne, merle noir, rouge-gorge, troglodyte mignon, pinson, pouillot véloce, mésange charbonnière, fauvette à tête noire chantent, chacun à leur tour, mais elle ne les entend plus.

Dans la forêt on crie : « Gertrude ! »

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