Se jeter dans la gueule du loup pour mieux plonger aux tréfonds de la terre.

 

Se jeter dans la gueule du loup

pour mieux plonger

aux tréfonds de la terre.





Marchebranche





résumé de la fiction :


Dans les frimas de l’éveil Enver s’éloigne sur la Vieille Route. La frêle Pétiole papillonne autour de lui. Le marchebranche se dandine gracieusement. Son regard est tourné au dedans. Les lames, surgissent, tour à tour, de sa ténèbre intérieure, se recouvrent les unes les autres, pour mieux dissimuler leurs figures. Leur enivrante ronde embaume le cœur. La promesse de Fougère lui assure l’une d’elles, et l’ingénuité de sa fantasque compagne une autre. Prudent, le volatile s’est bien assuré, avant de prendre congé, en des termes simples et indéniables, que la lame promise par la horla, lui échoie à son retour. Leurs silhouettes s’amenuisent, puis disparaissent bientôt dans l’ombre profondes des grandes hêtres qui veillent la Vieille Route. La certitude de revenir à point nommé pour que leur quête commune soit couronnée de succès s’ancre en lui.

Machefeuille toilette son pelage. La quête que leur a confiée Fougère accapare son esprit. Distrait, et sans cesse interrompu par le vagabondage sonore de Limbe, Machefeuille lui offre une puce. Le profombre, la goûte et la recrache indemne, déçu. En remerciement l’insecte le gratifie d’une cruelle morsure au menton, avant de bondir hors du glaviot qui l’englue, suspendu aux poils de la barbe naissante. La faim s’empare de Limbe. Le Grand Cerf Blanc, doit être mort pour détenir une telle emprise sur la forêt. Dès lors, sa dépouille serait festin digne d’assouvir la faim d’un horsain. Machefeuille, lui, n’envisage pas pareilles agapes. Le souvenir du vieux grours mécontent s’impose alors à son esprit. Sa quête de la couronne semble se confondre à une volonté de puissance. Mais un tel grours mal léché et puant pourrait-il ceindre couronne à son front ?À l’évocation de leur rencontre avec Aspodèle, Limbe se remémore la remarque de Machefeuille sur l’odeur d’urine de goupil qui entachait les mûres. La rosée en a atténué la force, toutefois la perspective d’une trace, même fugace, du passage du Grand Cerf éveille les sens du furet. Mais alors, la prudence et sa faim naissante lui dictent de se munir de provisions de bouche. D’autant qu’il est douteux qu’ils traversent quelque village, hameau, ferme qui puisse leur offrir le gîte et le couvert lors de cet aventureux périple sur les hauteurs du Moué. L’austère forêt de résineux les domine. Aucune route, pas même une vague sente ne perce sa masse sombre. Mais si la sylve est assez puissante pour enfanter ce Grand Cerf Blanc, quel fol charbonnier ou téméraire bûcheron irait affronter son ire  ? Seuls d’aventureux ou désespérés braconniers s’y risqueraient. La pente à gravir se confond avec la nue. Face à cette immensité, Machefeuille évoque la magie de ses sens, seule moyen de leur fin. Sans détour et ingénu Limbe agite vivement son leurre, qui d’ordinaire pend mollement sur le haut de son front. Son geste est telle une réplique imparable aux prétentions de son compagnon. À lui, les proies se pressent ! Mais l’immensité et la profondeur de la forêt s’oppose au luisant argument selon Machefeuille. D’ailleurs que mange cette créature ? « Fougère devrait nous accompagner s’iel tient tant à provende » s’exclame alors Limbe. Machefeuille lui rétorque qu’il doute qu’iel puisse les suivre et précise qu’il ne lui témoigne pas une confiance aveugle. Limbe consent qu’il ne s’agit que « d’un buisson qui parle, que peut-il faire ? Nous jeter de l’herbe ? »

Machefeuille, prudent et mesuré, lui répond, d’une voix où transparaît sa naturelle timidité : «  moi, je ne suis qu’un furet. Je suis vif, euh, mais pas non plus »

- « Crains tu Fougère ? »

En guise de réponse, une branche pin choit aux pieds de Limbe.

- « Alors,… Fougère tu ne fais pas peur ! »

Limbe reçoit une pomme de pin sur le bras, comme une réprimande de l’intéressée. Toutefois, Limbe n’en tient pourtant aucun compte et considère que ce ne sont là que funestes concours de circonstances. Mais une pomme de pin lui choit lestement dessus afin de dissiper plus sûrement l’image persistante de broussailles quelconques qu’un goupil insouciant a marqué de son urine.

- « ça c’était une pomme si je ne m’abuse. Tu peux sans doute t’en régaler ... » remarque aussitôt d’un air narquois Machefeuille.

- « ce n’est pas une pomme, mais une pomme de pin ! » précise Limbe tout en lui tendant l’offrande de la forêt.

Le furet la refuse d’un non sans ambage.

Machefeuille dit préférer sa méthode. Le furet, museau au vent, flaire les coulées qui s’enfoncent dans l’ombre. Une première trouée livre le fumet d’une laie et ses marcassins., une autre révèle le passage d’un jeune ours vigoureux, aux poils noirs de charbon. Dans une troisième plus étroite, Machefeuille, décèle les relents du goupil impénitent qui hérissent de méfiance et défiance, le poil sur la nuque du furet.

Le furet longe de son petit pas pressé la lisière du bois et s’éloigne de son compagnon plongé dans ses pensées.

Limbe ne se souvient pas avoir parcouru cette portion de la route, ni même d’ailleurs d’avoir humé ces senteurs montagnardes. Ces cohortes de troncs sinueux lui sont étrangères. Aucun souvenir n’affleure. Il n’est pas venu là. Il n’est pas là.

Machefeuille s’inquiète de ne pas entendre le marchebranche derrière lui : « Limbe tu me suis ?Tiens j’ai trouvé des framboises ! »

- «  Oui ! » réplique-t-il aussitôt.

Mais sa voix semble étouffée, amoindrie par la distance.

- « J’suis là »

Machefeuille entend sa voix, mais ne le voit pas.

- « Limbe ? »

- « J’suis là »

- « J’ai des framboises ! »

Alors Machefeuille discerne enfin, Limbe noyé dans une masse de hautes fougères.

- « Tu viens ? J’ai des framboises !»

- « D’accord. »

Deux yeux jaunes brillent dans l’obscure des frondaisons, et observent le furet. La créature aux aguets se tient juste derrière l’épaule de Limbe. Le regard cille et disparaît là où se fondent le vert ardent des fougères et le brun sombre de l’humus.

- « Tu devrais courir. » dit d’une voix altérée Machefeuille.

- « Pourquoi ? J’suis avec un copain !»

- « Presse toi !» sa voix se fait sifflante.

- « J’suis avec un copain.Viens ! »

Machefeuille se hisse prestement dans l’arbre le plus proche.

En hissant son bâton de marchebranche à lui, Machefeuille aperçoit une oreille grise, puis entend une langue lisser un poil rêche.. La gueule halète bruyamment au-dessous de lui.

Limbe a vu, brièvement, son ami détaler parmi les frondaisons et disparaître à sa vue tout aussi soudainement.

Est plus là !

- « Où est tu ? Où est tu ? » s’époumone la voix inquiète de Limbe.

Le halètement a cessé.

Limbe s’empare de son bâton et le brandit fermement devant lui.

Une voix profonde et grave résonne :

« Vous êtes égaré dans le bois petit ? »

Deux yeux jaunes fixent Limbe. Une immense gueule s’ouvre sur d’énormes crocs effilés qui luisent de bave. La langue épaisse et rose pend en travers. Un loup gigantesque se tient devant lui. La bête lisse négligemment son pelage.

Limbe retrousse ses lèvres pour découvrir ses fanons dans une vaine tentative d’impressionner la créature. L’odeur fauve envahit ses narines.

Ses yeux grands ouverts, sa bouche tout autant, avec sa langue pendante, sans que sa puissante mâchoire n’oscille, le monstre gonde : qui es-tu petit ?

Limbe prudemment tourne autour.

- « Je suis Limbe, tu ne me connais pas ? »

Le loup le presse et s’avance sur lui. Limbe marche à reculons et maintient l’espace d’un instant la distance avec l’animal, mais bien vite, une branche de pin ployée dans son dos lui dit l’ajournement de sa manœuvre. Sa retraite est coupée.

Le museau se retrousse et découvre ses agressives canines. La gueule pourrait engloutir sans peine la tête toute entière de Limbe.

- « Pourrais-tu me manger petit marchebranche ? »

- « Bien sûr. »

- « Mais alors tu ne serais plus marchebranche ? »

- « Qu’est-ce qui m’empêcherait de te manger ? »

- « Limbe, Limbe, Limbe ce nom m’est familier...les chevaux qui paissent sur la sente »

Depuis le haut de sa branche, Machefeuille alors l’interpelle :

- « Ohé Messire loup »

La langue regagne la gueule, puis se pourlèche avec envie.

- « Je suis Machefeuille, le marchebranche, pouvons-nous vous êtres utiles ?. »

Limbe pèse contre la branche pour s’éloigner du loup qui n’avait pas bougé, seulement tourné la tête. À nouveau son regard plonge dans celui de Limbe.

- « Nous ne voulons vous causer aucun trouble ou désagrément » reprend, enhardi le furet depuis son perchoir.

- « ô Limbe !» résonne depuis l’énorme poitrail de la bête pour s’étouffer au loin dans les branches.

- « Avez-vous besoin d’aide ? »

- « Aide … ? Oui, oui. Voyez-vous, j’en suis fort marri... Voilà, oserai-je le dire ? Le sort m’a été funeste. J’aidais alors quelques braves corbeaux à soulager de ses chairs une quelconque carcasse, quand une esquille d’os est venue se coincer dans ma mâchoire. Voyez ! » et la bête ouvre toute grande sa gueule en direction de Machefeuille. La bête s’est imperceptiblement rapprochée et le marchebranche contemple à loisir l’énorme gueule, emplie de dents effilées et la large glotte dans laquelle disparaît la langue chargée d’icelle.

Sitôt que Limbe esquisse un geste le loup et se retourne vers lui et lui présente sa gueule ; « vous voyez ? »

- « Dites moi comment vous parlez sans remuer les lèvres. Qui se cache sous ces oripeaux ? C’est bon, la farce a assez durée ! Montrez-vous, qui que vous soyez ! »

- « Je parle, comme je parle à l’accoutumée. Je parle, comme on dit ; et vous, vous m’entendez parce que vous êtes marchebranches. »

Machefeuille perçoit l’odeur du fauve qui a longtemps erré sur les routes, mais au-delà, et plus encore lorsque se retroussent ses babines, le marchebranche, perçoit une vibration singulière, une aura unique, celle d’un loup qui est bien plus qu’un loup. C’est là le LOUP parmi les loups.

- « Ne seriez-vous pas une carcasse qui... »

- « Auriez-vous l’obligeance, Marchebranches, de soulager ma mâchoire de cette agaçante esquille d’os ? »

- « Pensez-vous que nous allons nous jeter dans la gueule du loup ? Et, le cas échéant, quelle serait notre récompense ? »

- « D’avoir accompli votre devoir de marchebranche. Ou peut-être avez-vous dérobé ce bâton, à quelque authentique, mais malheureux, marchebranche que vous auriez, plus tôt, détroussé ? » et l’énorme loup fait mine de rebrousser chemin, pour revenir aussitôt se positionner là où il se trouvait auparavant, sa gueule grande ouverte et les yeux plissés de ruse.

Par défi, Limbe ouvre grand la gueule, aussi.

Machefeuille déclare : « Je vais m’en charger, laissez moi descendre ».

La tête se tourne vers lui, les yeux s’étrécissent.

- « Limbe, Limbe, Limbe »

- « Vous avez oublié un limbe, et d’ailleurs je dirais plus volontiers ce mot. »

- « Limbe, j’ai du entendre flotter ce nom sur les lèvres de quelqu’un dans la forêt... »

Machefeuille s’approche en bombant le torse et demande, d’un ton qu’il souhaite badin, si le loup n’aurait pas connaissance d’un Grand Cerf Blanc.

À ces mots, la gueule se referme avec un claquement sec et la bête retrousse ses babines et gronde pour ouvrir à nouveau sa gueule toute grande.

- « Ainsi donc vous cherchez le Grand Cerf Blanc. »

- « Vous le connaissez ? »

- « Oui, il se prétend le seigneur de ces bois. »

- « Qui se cache sous ces oripeaux ? C’est bon la farce a assez durée ! Montrez-vous, qui que vous soyez ! »

Limbe a observé la bête, et plus encore son ventre. Ce dernier est légèrement rebondi. Le marchebranche approche le pommeau de sa canne dudit ventre, avec l’idée de l’ébranler, mais la bête est bien trop prompte et l’enserre aussitôt dans un craquement sinistre puis la projette au loin, dans les broussailles. Limbe interdit repère où sa canne est tombée.

La bête est désormais à quelque pattes de Machefeuille.

- « Pourrions-nous parler à la farce dans l’dindon là ? »

- « Vous vous sentez bien ? »

La bête tourne sa gueule grande ouverte à nouveau vers lui.

- « Ainsi donc vous cherchez le cerf ? Voyez-vous l’esquille d’os dans ma gueule ? »

« Je crois la discerner, mais laissez-moi le temps de définir la méthode qui me permettrait de l’ôter. »

Limbe ouvre démesurément sa gueule. Il voudrait pouvoir dévorer la bête.

Machefeuille cherche un bâton qui lui permettrait d’œuvrer avec une certaine marge de sécurité. Mais les branches mortes sont cassantes et les vives inaccessibles.

La tête de la bête vient se poser sur ses pattes avant en invitation muette à pénétrer dans la gueule du loup.

- « Voyez-vous cette esquille, messire Marchebranche ? Une esquille d’os ? »

« Je la vois. »

Machefeuille, entre dans la gueule du loup, son bâton brandit au-dessus de sa tête.

Une esquille d’os est enchâssée derrière une canine. La chair est enflée tout autour. Une saillie blanchâtre remonte sur l’intérieur de la gueule vers la glotte.

- « J’ai trouvé la source de votre mal. Pour ma sécurité, ne bougez plus. »

- « Entendu Marchebranche. »

Afin d’aider son ami, Limbe s’empare d’une large branche pourrie sur le sol qu’il passe derrière la canine, pour contenir tout mouvement. La mousse et les lichens tombent sur la langue rugueuse, ainsi qu’une grosse araignée qui s’enfuit vers le fond de la gorge. La langue remonte

Lorsque Machefeuille tire de toute ses forces la tête remonte et soulève Limbe, tandis que le loup gémit. L’esquille est entrée trop profondément dans les chairs pour que la seule force des bras du furet suffise. Ce dernier se résigne à se rouler en boule et de toutes ses pattes tirer de toutes ses forces. Le loup hurle à leur crever les tympans. Néanmoins, le morceau de fémur brisé, plein de sang et suintant de pus lui reste dans les pattes. à son grand soulagement, Machefeuille jaillit de la gueule béante du loup. Vu sa taille le fragment de fémur aurait fort bien pu appartenir à son compagnon marchebranche. Le loup gémit un moment. Le furet s’enquiert de son état. Après un glapissement, des petits cris émanent de la gorge de la bête. Le bâton de Limbe craque. La gueule se referme. Il ouvre la gueule crache l’araignée, puis d’une patte l’écrase et il la mange goulûment.

- « Vous m’avez bien aidé. Que venez-vous fureter dans mon bois ? Que lui voulez-vous au Grand Cerf ? »

- « Est-ce l’un de vos amis ? »

- « C’est un usurpateur. »

- « Pour tout vous dire, Fougère nous a mandé pour l’occire, » précise Limbe.

- « Il serait à l’origine de bien des maux dans cette forêt, » ajoute Machefeuille.

- « Oh que oui. »

- « Savez-vous où nous pourrions le trouver »

- « Vous me promettez de lui arracher le cœur ? C’est votre promesse. Oh que de bonnes nouvelles en une journée ! Cela vaut bien de différer un repas, même deux. Alors suivez moi, nous allons le débusquer. »

Aussitôt il s’enfonce parmi les fougères et disparaît très vite. Les frondaisons sont couchées et la large coulée, empreinte d’un fumet manifeste, sont des plus aisées à suivre pour le furet, d’autant plus qu’il connaît intimement ce dernier désormais. Machefeuille se coule à sa suite.


Témoignage audio [59’12’’], et fin de la première péripétie de la première quête.


Limbe, quant à lui, s’approche du fourré où son bâton a chu. Celui-ci est profondément fiché dans le sol. Pourtant à en croire le son mat qu’il avait rendu en heurtant le tronc du pin, Limbe était persuadé qu’il était tombé mollement sur le lit d’aiguilles de pins. Limbe peine à l’extirper du sol. Une vapeur épaisse, âcre, monte le long du bâton et lui arrache des larmes. Pleurant et toussant, Limbe cherche du regard Môssieu De Caillou. Sa laisse pend mollement au sol, à ses pieds, dans les volutes odorantes. A plu. Est plus là. Volatilisé Môssieu Du Caillou. À la pointe de sa canne de marchebranche, la fumée dessin deux yeux, une bouche, qui bruisse d’une voie spectrale : « méfie toi de Plénophle. » Est-ce toi Caillou demande, d’une voie inquiète en retour Limbe. « Méfie toi de Plénophle., il ne doit pas s’emparer du cœur. » Limbe se redresse et demande à son ami Machefeuille : « n’aurais-tu pas vu Caillou ? », mais il est seul parmi les fougères. Il dit : « Caillou Caillou, Caillou ». Alors un choc net retentit et trouble le chant des oiseaux qui avait repris. Caillou, au bout de sa laisse a buté contre un arbre. Alors qu’il se relève tout à fait, une branche lui cingle la tempe. Limbe chasse les aiguilles sèches qui se sont collées sur son visage. Lorsqu’il cille pour chassé les larmes qui embuent son œil gauche, le monde semble rétrécir. Il ferme l’œil. Sa vision demeure identique et étriquée. Il ferme le droit et le monde disparaît dans l’obscur de ses paupières. Merci Fougère pense-t-il ou le dit-il vraiment ? Voilà son œil encaillouté ! Son monde est désormais privé de profondeur.

Empressé de rejoindre son ami, Limbe part à sa suite dans la coulée. Néanmoins les relents laissés par le loup se dissipent et les senteurs de fougères étouffent l’odeur de son ami. Il est perdu et crie :

« Fougère cesse ! Disparais !»

En retour son ami lui crie : « Limbe où es-tu »

- « Là où je suis ! »

Enfin, guidé par sa voix il retrouve son ami.


Témoignage audio [1h07’11’’], et fin de la seconde péripétie de la première quête.





En l’attendant, Machefeuille s’est frictionné avec du suc extrait des fougères alentours. Autour, les pins poussent librement. Seuls l’orage a foulé à terre les moribonds. Aucun marquage des troncs.

Machefeuille s’étonne de l’état de Limbe. Son œil est tout tuméfié.

Les explications sommaires que lui livre le profombre lui suffisent et ils reprennent la piste qui a fraîchi.

Les sapins ont succédés aux pins. à la lisière, qui s’ouvre sur un faing ensoleillé, les compagnons se régalent de brimbelles. Machefeuille en dévore la plupart et laisse les gâtées et celles souillées de l’urine du goupil à la faim dévorante de Limbe.

Après avoir franchi un ru, la piste les mène vers une hêtraie qui s’enracine sur la pente plus escarpée du Moué. La forêt est parcourue de petits rus.

Machefeuille se baigne dans une marre à l’eau fraiche et acide. Limbe se baigne également. Tous deux en sont tout rassérénés. Ils éprouvent une sensation de renouveau. Limbe dicerne un peu mieux le monde qui l’entoure. En revanche, l’estomac de Limbe est tout retourné. La drisse le hante. De nombreux chevreuils sont venus s’abreuver ici, de même que la lai et ses marcassins. Le furet décèle le passage d’un discret blaireau. Machefeuille marque son passage. Alors qu’il se repose, adossé à un tronc Limbe est attiré par un froissement de plumes. Un grand tétras s’ébat. Il entamme une danse gracieuse et solennelle non loin d’eux. Limbe l’observe attentivement s’agiter.

Puis guider par son inextinguible faim, rampe lentement et silencieusement vers le volatile. Percevant la menace pour l’oiseau, Machefeuille lance d’une voix claire :

« Quel splendide ramage ! »

L’oiseau aussitôt se réfugie dans un roncier échappant à l’approche de Limbe qui lâche ses reproches à son comparse qui a fait fuir le gibier.

Très peu de temps après avoir quitté ce havre de fraîcheur, toujours sur la piste du loup, Machefeuille aperçoit, parmi les ronces, le volatile auquel il a épargné un sort funeste.

L’oiseau l’observe d’un regard intense et quelque peu indéchiffrable. Puis il avance et recule la t^te de manière saccadée. Après s’être assuré que Limbe, ne le regardait pas Machefeuille demande à l’oiseau s’il a vu passer le loup. Silencieusement, l’oiseau opine du chef. Par où lui demande-t-il aussitôt. L’oiseau, dans une grande volée de plumes, lui indique la direction parmi les troncs, se signalant alors à Limbe. Se dernier aussitôt se lance à sa poursuite qui s’achève dans un fatras de ronces accrochées fermement au moindre plis de ses vêtements. L’oiseau bondit et s’éloigne en lui jetant des regards noirs.

Les démangeaisons réchauffent son corps. Machefeuille propose une décoction de ronces pour apaiser ses souffrances.

La forêt semble changée. La Moué émerge de son manteau de mousses. De nombreux ronciers colonisent le sol entre les troncs. Les fougères sont rares désormais, en de frileux amas massés autours des marres. Partout les roches sont festonnés de fresques de lichens multicolores.

Limbe est fiévreux. Ses forces le fuient. Le ventre est toujours tiraillé.

À nouveau propose ses talents d’apothicaire à son compagnon.

Ils ménagent une halte auprès d’un plan d’eau ceinturé de hêtre. Machefeuille récolte de la boue pour préparer un cataplasme pour Limbe.


Fin du témoignage audio [1h42’26’’], et fin de la troisième péripétie de la première quête.


Machefeuille est très éprouvé par l’ascension. Le temps est lourd, l’orage menace et Machefeuille renonce à se risquer aveuglément plus avant dans la montagne. Limbe est dans un triste état. Le corps de Limbe est tuméfié son épaule est violacée. La réaction aux ronces est chez lui particulièrement vive. Machefeuille renonce a appliquer un simple cataplasme de boue et récolte du suc des quelques fougères présentes au bord de l’eau. Il frictionne vigoureusement les blessures de son compagnon jusqu’à ce que le suc blanc et visqueux pénètre sous la peau.

Tous deux sont hagards. Limbe s’endort rapidement. Alors qu’il ronfle à peine, Machefeuille lui fait avaler du suc de fougère. Limbe par trop épuisé ne se réveille pas pleinement et mâche et avale sans sourciller avant de ronfler à nouveau.

Limbe ne sent plus peser ses membres. Léger, il flotte. L’air est frais est frais et vivifiant. Dans l’obscur de la nuit les vénérables hêtres qui cerclent l’eau l’observent attentives et bienveillantes. Une voix éthérée lui dit « Plénophle ne doit pas quérir le cœur du cerf. Il ne mérite pas ta confiance. »

« Ton regard doit se porter au dedans de toi. »

Le regard de Limbe se porte alors sur une vénérable hêtre abattue par la foudre et envahie par les champignons.

C’est sur son tronc que lui et son compagnon se sont assoupis.

Entre ses racines, sa souche dissimule un reflet moiré semblable au clair de lune.

La voix dit encore : « franchit le seuil ! »


L’éveil. La pluie ruisselle depuis le feuillage jusqu’à son visage. C’est presque aube et tout autour, la Moué est noyée de pluie. Son ami aussi est réveillé.

Alors Caillou s’agite et apostrophe Machefeuille d’une voix suraigue. Caillou est amas de pierres aux jambes de frêles brindilles. Ses bras, tout aussi maigres, sont eux aussi de fines branches qui fleurissent pour former ses doigts. Sa bouche et ses yeux sont de simples traits de charbon sur le galet bleuté que charrie depuis si longtemps Limbe.

« Il n’écoute rien celui-ci

M’écouteras tu enfin ?

C’est ici qu’il faut chercher » dit-il en montrant la souche.

Vous ne devez pas suivre Plénophle, mais franchir le seuil.

Il s’approche de Machefeuille et grandit alors pour atteindre sa taille.

Il lui donne la main et tous deux s’approche du terrier béant au creux de la souche.

Le petit Caillou dit encore :

Et souviens toi

Que le ciel

Est à portée de flèches

Qu'il suffit que d'une corde

Pour atteindre

L'étoile

Et dresser des ponts

de constellation en constellations

Jusqu'à toucher

Le cœur du vide

Et reposer dans le néant


Caillou franchit le seuil. Il se tient dans l’obscur. Il est désormais d’un blanc lumineux, sa silhouette rétrécit et disparaît tout à fait.

Machefeuille le suit et bascule lui aussi dans l’obscure après avoir jeté une dernière lueur dans son sillage.

Limbe hésite, puis lance un bâton dans la tanière de bièvre. Le bâton s’affine et devient lumière blanche pour se fondre dans l’obscurité.

Alors Limbe franchit lui aussi le seuil.


et fin de la quatrième péripétie de la première quête.


commentaires  :


Alex étant indisponible pendant un mois, nous avons choisi ensemble, qu’Enver se charge de la quête confiée par Pétiole, qui veut devenir papill’femme, nous laissant le loisir de poursuivre les deux autres en son absence.

La rencontre avec le loup relève du registre du conte, quoique quelque peu détourné. Le loup n’entend pas, dans un premier temps dévorer les marchebranches. Toutefois, la bête n’était pas si terrible et demandait seulement aux braves marchebranches de la soulager de l’esquille d’os coincée entre ses crocs. La volonté de Limbe d’y voir un déguisement de quelque être malfaisant ayant investi la carcasse d’un loup mal raccommodé a singulièrement compliqué leur tâche. L’énorme loup s’est avant tout avéré déroutant.

La séquelle de la moisissure de limbe a permis d’explorer plus avant le personnage, sur un versant obscure qu’allégeait le comique de situation.

La troisième péripétie engagée sur une tonalité contemplative et apaisée, une découverte la montagne immense et sauvage s’est muée en un retour de bâton ironique pour les marchebranches. La faim de Limbe a provoqué sa chute de façon détournée, jamais sans vouloir s’emparer du pauvre tétras il se serait jeter dans le domaine des ronces.

La dernière péripétie entre mysticisme et onirisme nous a permis de basculer vers un autre temps de la quête. Le cerf blanc est dans les tréfonds ou dans les forêts limbiques.

À cet égard, nous avons convenu de jouer la suite sur mode OSR plus classique, en motorisant la péripétie avec CIMETIERE de K.F. et une relecture toute personnelle de Veints of the Earth de Patrick Stuart.


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